L’encre n’a pas encore séché sur mon diplôme de réalisation, à mon arrivée en France en 1973. Pour pouvoir travailler, il m’a fallu d’abord apprendre la langue Française et surtout, comprendre comment ce pays fonctionne. Là où j’ai grandi, il n’y avait qu’une Télévision et qu’une seule production de cinéma. On disait là-bas : « si tu te fais jeter par la porte, entre par la fenêtre ! ». Mais en France, les multitudes portes et fenêtres m’ont donné le tournis. Ne connaissant personne dans les métiers du cinéma et télé pour me guider dans ces méandres, j’ai pris la décision de recommencer au montage. J’y suis restée pendant 25 ans…
J’ai débuté comme pigiste aux actualités à la Télévision, puis j’ai monté des reportages et des documentaires. Le plus souvent, j’ai travaillé avec des journalistes et, en montant leur film, j’ai pu leur offrir mes connaissances en réalisation. Nous nous complétions bien. J’ai appris à me glisser dans LEUR film, servir LEUR propos.
J’ai beaucoup appris aux actualités. Le monde et la politique, devenus accessibles pour moi, après 28 ans d’enfermement dans le système communiste. En voyant défiler sur ma table de montage, les plans venus d’horizons divers, j’ai pu forger mes idées, librement. Confrontée à la réalité du monde, j’ai dû réexaminer tous les concepts politico-philosophiques appris auparavant ; en quelques années, rien n’a résisté. Le respect de la démocratie et le refus de la manipulation ont pris le relais dans mon intellect et pour toujours…
Ma passion pour les documentaires et pour les reportages n’a pas diminué au fil des ans. J’ai adoré ce poste d’observation où le choix de chaque plan, chaque attitude de personne filmée pouvait dire plus que les textes et commentaires. Les textes des interviews et la manière de les découper et agencer, nous confèrent une grande responsabilité, très grisante. Définir le rythme d’une séquence en harmonie avec le tempo interne des plans, le choix des sons, des musiques, le mixage, pour servir LE propos était enthousiasmant. Faire un film, petite touche par petite touche, est une démarche qui ressemble à ce que nous a enseigné Michel-Ange : « il suffit d’enlever le surplus de marbre autour de la statue ».
Pendant ces années, bien que le montage m’ait donné énormément de satisfaction, l’envie d’exercer mon métier de réalisatrice ne m’a jamais quittée, mais il est resté un rêve lointain… Même si par moments, j’ai eu des occasions de « sortir » de la salle de montage et me voir confier une réalisation. Comme les éléments visuels pour le premier Vidéodisque interactif à Biarritz. L’interactivité n’en était qu’à ses débuts et qui aurait osé imaginer ce qu’elle deviendrait jusqu’à nos jours !
Comme monteuse, j’ai manié la pellicule 16 et 35 mm. La vidéo est arrivée et avec elle l’impossibilité de remonter une séquence, pour des raisons techniques : les générations (copies) successives occasionnaient des dégradations graves. Le montage a perdu beaucoup de son charme et de sa force : qui peut connaître sans hésitation le premier jour au matin, le premier plan du film et sa longueur ? Personne ! D’où les frustrations de toute une corporation.
Heureusement, le montage OFF-Line est né et nous monteurs, nous avons retrouvé un peu notre paradis perdu. J’ai été l’une des pionnières dans ce domaine en utilisant dès 1991, un système encore balbutiant pour une série de documentaires, de 3 fois 52 minutes, comportant une très grande quantité d’archives et de rushs.
Par la suite, j’ai travaillé en virtuel et monté des documentaires formidables ! Mais le temps consacré au montage a commencé à diminuer, celui du dérushage souvent supprimé. Le réalisateur dérushait le film chez lui et le monteur n’avait qu’à importer une série de time-codes dans l’ordinateur. Ni lui (le réalisateur), ni nous (monteurs) n’étions heureux dans cette structure imposée. Le travail en symbiose entre monteur, journaliste ou réalisateur, l’échange, la réflexion commune sont devenus presque impossible. Petit à petit, la productivité a pris le pas. Pourtant, le temps de réflexion de l’être humain ne diminue pas…
À cette époque, les monteurs n’avaient plus d’assistant, remplacés par des techniciens formés à des tâches répétitives souvent accomplies la nuit. Pourtant l’assistant n’était pas là pour le « bien être » des monteurs ! Constatant ces changements dans la postproduction, je me demande : comment la relève va apprendre ce métier ? Va-t-on former des « presse-boutons », sans aucune culture, le regard non exercé ? Je suis de plus en plus persuadée que la formation est notre affaire à nous, l’ancienne génération.