Mes débuts
À 20 ans, je suis seconde assistante de réalisation à la Télévision Hongroise, au département Jeunesse et Enfance. Sa vaste palette de production s’étend des émissions de plateau aux films de fictions et d’animations. Les programmes, auxquels je participe, sont loin de toute préoccupation politique ; pendant 4 ans, je vis une sorte d’insouciance. Issue de la classe « ennemie du peuple », je suis à l’abri, à condition de ne pas décevoir.
Comme toute assistante, je suis partout : depuis la préparation jusqu’au tournage. Il faut être performante, aussi bien face à des comédiens que face à un plateau rempli de 150 gamins, être capable de réparer des marionnettes, etc., etc.
J’apprends et j’absorbe la méthode de travail des réalisateurs qui m’ont choisie pour faire partie de leur équipe. Au bout de 4 ans, je sais ce que je veux faire dans ma vie : la réalisation !
En 1967, après 4 ans d’interruption, l’École de Cinéma ouvre une nouvelle promo. Pouvoir faire ses études dans cette école prestigieuse est proche d’un rêve ! Je dépose ma candidature, sans y croire, comme 1600 de mes semblables.
Le concours dure 10 mois, en éliminant la majorité des postulants à chaque étape. Il se termine par la réalisation d’un petit court-métrage de 4 minutes maximum, en 16 mm. Deux candidats, un futur réalisateur et un de futur directeur de la photo doivent faire équipe pour le tourner. Je suis encore dans la course…
Au moment du tournage et pour la première fois de ma vie, je suis au service d’une idée personnelle qui va se matérialiser sur l’écran. Peu importe l’enjeu : je me sens dans mon élément, en harmonie avec moi-même.
Victoire ! Je suis admise à l’École de Cinéma ! Nous sommes 16 reçus et moi la seule fille !
Le premier matin, nous somme accueillis par nos deux professeurs principaux, János HERSKO et György ILLES.
Comme tous les professeurs, ils sont des professionnels en exercice, l’un est réalisateur, l’autre est un immense directeur de photo du Cinéma Hongrois. Ensemble, ils nous tiennent ce discours : « Nous sommes conscients que vous êtes tous des génies ! Mais pour l’heure, oubliez ça. Ici vous allez apprendre le b.a.-ba du métier et quand vous serez en possession des règles, vous pourrez les transgresser, mais pas avant ! »
Et les cours démarrent. L’emploi du temps occupe 12 heures par jour. Les matières vont enrichir notre culture générale et nous apprendre la technique. Ainsi, nous étudions aussi bien la littérature, la philosophie, la musique, l’esthétisme, l’histoire de l’art et du cinéma que la sensitométrie, les techniques audio, le développement de la pellicule, les caméras, l’éclairage, le montage, la vidéo, etc.
L’École possède un plateau de cinéma et un studio vidéo, révolutionnaire pour l’époque. Sous la direction de notre professeur de réalisation (Hersko), nous nous exerçons à l’art de l’interview et de la direction d’acteurs.
Nous disposons également un studio vidéo, installation révolutionnaire pour l’époque. Sous la direction du professeur de réalisation, Hersko, nous nous exerçons à l’art de l’interview et de la direction d’acteurs.
La vie politique entre soudain dans ma vie par l’arrivée, en début d’année d’étude, d’un de nos camarades. Tout juste libéré de son service militaire, il vient de Prague où il a participé, bien malgré lui, à l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie. Il nous relate des événements dont nous ignorions tout, car la presse a passé sous silence le « Printemps de Prague »… Nous sommes en 1968.
À l’École, nous vivons dans deux mondes : celui de l’extérieur et l’autre à l’intérieur. Notre professeur nous prévient dès le départ : « Ici, en classe, vous pouvez vous exprimer librement. Mais jamais, au grand jamais, je ne veux avoir un écho de nos propos, venant d’ailleurs ! Je défendrai vos films face aux autorités, mais à cette seule condition ! »
Il respectera sa promesse et nous aussi. Pendant deux ans, ensemble, nous analysons la vie politique, les outils de la propagande pour mieux les contourner. Nous critiquons le système communiste dans nos films avec de plus en plus d’habileté, utilisant les sous-entendus, les symboles, la ruse, le clin d’œil.
En fin de première année, le film d’examen est obligatoirement un documentaire.
J’ai cherché pendant des mois un sujet, en vain. Chaque idée me semblait dépourvue d’intérêt. J’étais désespérée, voyant les camarades qui foisonnaient d’idées. C’est alors que mon professeur, avec tact et gentillesse m’a ouvert les yeux sur moi-même. Il m’a fait prendre conscience que le seul sujet que je devrais aborder, c’est mon enfance et le divorce de mes parents. Tant que je n’ai pas réglé cette problématique, inutile de vouloir parler d’autre chose.
Je me suis lancée dans la réalisation de ce film très personnel, intitulé : « Nous et Moi ».
Au moment de sa projection, le film a suscité des réactions diverses : un grand nombre a apprécié ma sincérité, mes solutions de mise en images et également le « courage » de mes parents. D’autres m’ont fustigée pour mon manque de pudeur, en disant : l’écran n’est pas un endroit pour déballer sa vie privée. Mais le professeur Hersko a envoyé le film à un festival en Allemagne…
Juste avant les examens de fin de 2ème année, Hersko, quittera illégalement et en secret la Hongrie. C’est la stupeur générale… Il expliquera dans de nombreuses lettres les raisons de sa décision et de son désaccord profond avec le régime en place. Ses destinataires sont des dirigeants du pays, des instances de la vie culturelle et… moi ! Mais ça, je ne le saurai que des années plus tard !!! Cette lettre a probablement rejoint mon « dossier » à la police secrète d’état. Je ne l’ai jamais lue…
Après le départ de notre mentor, nous, ses étudiants, devenons des orphelins… D’autres professeurs ont pris le relais dans la classe, avec d’autres méthodes et d’autres affinités.
Deux ans plus tard, je quitte la Hongrie à mon tour pour venir vivre en France. Mais ce départ n’a aucun contenu politique : je rejoins l’homme que j’aime…